Le reiyukai, secte
ou pas secte? Inscrit sur la liste noire du rapport parlementaire de 1995,
surveillé de près par les autorités, ce mouvement dérivé du bouddhisme et qui
s'inscrit dans le courant des nouvelles religions japonaises prend de l'ampleur
en Charente. Si ses adeptes à la voix doucereuse préfèrent parler de religion
ou de spiritualité, le reiyukai n'en est pas moins dans le viseur de l'Adfi et
du Gemppi (1), mouvements qui luttent contre les dérives sectaires.
En Charente, les
têtes de pont du reiyukai balaient les accusations. "Oui, nous sommes
adhérents, mais ce n'est pas une secte", clament en choeur les deux
hommes que les témoins désignent comme piliers du mouvement dans le
département. Selon Claudine Shinoda, créatrice du mouvement du reiyukai en
France, il y aurait à peine 80 adhérents dans le département. Un chiffre sous-estimé,
selon d'anciens adeptes, qui l'évaluent plutôt entre 120 et 150. Ils se
répartissent entre deux "cercles" principaux. L'un des groupes est
mené par un professeur de lycée d'Angoulême, l'autre par un avocat angoumoisin
qui, après avoir accepté que l'on donne son nom, estimant qu'il n'avait rien à
cacher, s'est rétracté. Le juriste se défend d'être un pilier du mouvement.
"C'est une recherche personnelle." Son alter ego prof affirme:
"Le reiyukai n'a pas de hiérarchie." Pourtant, tous les
identifient comme les "recruteurs". Dominique Hubert,
présidente de l'Adfi de Nantes, souligne: "Avant qu'il [le
professeur, NDLR] n'arrive à Angoulême, il n'y avait pas d'adhérents en
Charente."
L'impuissance des familles
Le reiyukai fait
des dégâts au coeur des familles qui ne savent comment s'y prendre pour tirer
leurs proches des griffes du mouvement. C'est en sortant de l'adolescence que
Laure, une Charentaise de 25 ans, est entrée dans le reiyukai à une période où
elle n'allait pas bien. "L'une de ses amies l'a invitée à une
séance", raconte son mari, Jean. Quand il l'a rencontrée, elle était déjà
adepte confirmée. "Je suis allé à pas mal de réunions, par curiosité. Mais
je me suis vite rendu compte que c'était un endoctrinement. Quand j'ai arrêté, on
m'a dit que j'étais faible, que je ne voulais pas évoluer." Laure a
continué son parcours. Avec la volonté de recruter de nouveaux "compagnons
de pratique", condition indispensable pour progresser, aux yeux de ses
aînés. Du coup, elle fait du prosélytisme à son travail. "Elle explique
aux gens qui sont dans le mal-être que ça lui a fait du bien. Quand elle a une
réunion à Nantes, elle quitte le boulot avant l'heure pour y aller. Ça provoque
des tensions avec son chef." La pratique du reiyukai prend un temps fou,
explique Jean: une demi-heure de récitation de soutras matin et soir.
D'innombrables coups de téléphone. "À chaque difficulté, elle appelle un
aîné pour savoir quoi faire. Elle a perdu tout son libre arbitre. Et quand les
adeptes qu'elle a recrutés ont un problème, c'est à elle qu'ils téléphonent. En
plus, il y a les réunions." Parfois, les séances ont lieu à leur domicile.
"Je le vis très mal, raconte Jean. À chaque fois qu'on a un problème, ils
lui expliquent que c'est à moi de me remettre en cause. À un moment, elle avait
pris un peu de recul, elle n'allait plus systématiquement aux réunions. Elle a
été rappelée à l'ordre et elle a replongé de plus belle. Je tiens bon… le temps
que je pourrai."
Une autre qui se
ronge les sangs, c'est Marie, la mère de Camille, un enfant d'une dizaine
d'années. Séparée du père adepte du reiyukai, elle s'inquiète beaucoup pour la
suite: "Que va-t-il se passer à l'adolescence, au moment où les jeunes
sont fragiles, influençables?" Marie tente de protéger leur enfant:
"En principe, ils n'assistent pas aux réunions. Mais ils sont gardés dans
une pièce juste à côté. Ils ne sont ni sourds, ni aveugles. Dans les
appartements, il y a une pièce dédiée à la pratique, avec un autel. Il y a le
bruit des soutras récités, les coups de gong." Camille assiste parfois aux
prières de son père: "Il explique que c'est pour son éducation religieuse.
Mais c'est quand même particulier. Et puis il y a des tas de sorties organisées
avec tous les adeptes et leurs enfants. Ils baignent là-dedans tout le temps."
Marie a tenté de poser ses conditions. "J'ai demandé que notre enfant ne
soit jamais associé à ça. Mais je n'ai aucun moyen de faire pression."
Autre inquiétude: "La pratique prend beaucoup de temps. Il fait de plus en
plus souvent garder Camille, il est de moins en moins disponible pour s'occuper
de lui." Pour l'instant, Marie tente de se rassurer parce que Camille ne
s'y intéresse guère et trouve tout ça "très bizarre". Mais pour
combien de temps?
Pas de
prosélytisme, jurent-ils. Pourtant, "les adhérents ont une obligation
morale d'attirer chacun cinq personnes", affirme Dominique Hubert, ce
que confirment ceux qui s'en sont sortis. "Je n'évoque jamais le
reiyukai au sein du lycée", assure le professeur. Tout juste
concède-t-il en parler à des gens qu'il sent réceptifs. Dominique Hubert a une
autre version: "Un monsieur qui traversait une passe difficile s'est
fait mettre le grappin dessus par cet enseignant. Il est devenu 100% reiyukai,
a quitté sa femme et a pour nouvelle compagne une adepte." C'est une
constante du mouvement: on vise avant tout les personnes fragilisées, à la
suite d'une rupture, de difficultés familiales ou professionnelles (lire
encadré).
Harcèlement
et emprise mentale
L'avocat lâche: "Il
arrive que j'en parle à des gens avec qui j'ai des affinités. Ils peuvent venir
à une réunion si ça les intéresse et laisser tomber par la suite." Dominique
Hubert n'est pas d'accord: "Il y a de plus en plus de gens qui nous
appellent en se plaignant d'être harcelés parce qu'ils n'ont pas voulu
adhérer." L'emprise mentale, l'homme de loi la nie catégoriquement. Le
prof répond de façon plus ambiguë: "Parfois, certains veulent dépendre
des autres." Au point de demander l'avis d'un "aîné de
pratique" dès qu'un problème se pose à eux, y compris au sein du
couple. L'usage intensif du téléphone est dénoncé par de nombreux témoins qui
doivent rendre compte de leurs faits et gestes.
Pourtant, le
juriste comme le professeur se récrient quand on leur parle de secte. Ils
s'abritent notamment derrière la décision gouvernementale de considérer comme
caduque la liste de 1995 dans laquelle le reiyukai figure. "Ce n'est
pas parce que ces mouvements ne méritent pas d'y être, mais parce qu'ils
évoluent très vite, changent de nom ou d'organisation. Il n'y a pas de définition
de ce qu'est une secte, mais un faisceau d'éléments", indique-t-on à
la Miviludes (2).
Dont les exigences
financières. "Il n'y a pas d'argent en jeu: la cotisation se monte à 6
euros par mois, le prix d'un paquet de cigarettes", ironise
l'enseignant. Il y a tout de même de drôles d'habitudes, dénonce un conjoint
adepte repenti: "J'ai découvert que ma femme continuait à verser ma
cotisation et celle des adeptes qu'elle avait recrutés et qui avaient quitté le
mouvement."
Pas question non
plus d'embrigader les enfants, affirment-ils. "Mais bien sûr,
reconnaît l'enseignant, ils vivent avec nous, ils nous voient."
Dominique Hubert fait des bonds: "Réciter des soutras de façon
mécanique, comme modèle pour éduquer des enfants, ça me semble sidérant!
Surtout quand on sait que de très nombreux adeptes sont des enseignants."
Il y a deux ans,
des voix s'étaient élevées dans le monde de l'enseignement pour tirer la
sonnette d'alarme et dénoncer l'ampleur prise par le mouvement, son enracinement
et son influence pernicieuse à tous les niveaux, de l'école au lycée.
Laurence GUYON
(1)
Association de défense des familles et d'individus victimes des sectes, et
Groupement d'étude des mouvements de pensée en vue de la prévention de
l'individu.
(2) Mission
interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires.
Source: La Charente Libre, jeudi 9 mai 2013
http://www.charentelibre.fr/2013/05/09/la-face-cachee-du-reiyukai,1834811.php
Le reiyukai, la petite secte qui monte en Charente
Le discret mouvement reiyukai, répertorié
parmi les sectes, fait son trou en Charente. Et il fait peur, parce qu'il
recrute essentiellement dans les milieux en contact avec des enfants et des
adolescents. Catherine (1), une ancienne adepte, professeure des écoles
aujourd'hui sortie des griffes de la secte, est tombée dans un «guet-apens».
«J'ai été invitée à une soirée entre amis. J'y suis allée. C'était une réunion
du mouvement.» Devant l'insistance de ses nouveaux camarades, elle accepte
de faire une «période d'essai».
Bien sûr, elle pourra arrêter quand elle
voudra, lui dit-on. Le piège se referme.
«Car si quelqu'un n'adhère pas, c'est
parce qu'il est lâche, qu'il ne veut pas progresser...»
Coupée de son entourage
Catherine ramène quelques nouvelles
têtes, conformément à l'obligation faites aux adeptes. La consigne est claire: «Dès
qu'on rencontre des gens dans la rue, il faut parler avec eux, trouver ce
qu'ils appellent des "moyens habiles" pour les convaincre.» Plus
on recrute, plus on s'élève dans une hiérarchie invisible. Autre obligation, se
plier aux rituels. Le «sutra» est une prière «qui dure une demi-heure, sans
s'arrêter, qu'on lit d'une voix monocorde», raconte Catherine.
Quand les «compagnons» ne vont pas bien,
c'est qu'ils n'ont pas assez recruté ou pas assez prié. «Tous les jours, on
est en contact avec un "aîné de pratique". Si ce n'est pas vous qui
appelez, ce sont eux qui vous appellent. C'est un véritable harcèlement», dénonce
Catherine. Des discussions qui durent des heures. «À chaque fois que je
n'étais pas d'accord, ils arrivaient à me casser, à me soumettre.» Un
endoctrinement qui passe «par des formules toutes faites». «Ils parlent avec
une voix toute douce.»
Petit à petit, Catherine se coupe de son
entourage. Sa famille, aux yeux de ses «compagnons», freine sa progression. «Je
ne voyais plus qu'eux», raconte- t-elle. Les réunions prennent de plus en
plus de place dans sa vie. Jusqu'au jour où elle prend conscience qu'elle est
en train de déraper. Petit à petit, elle prend ses distances. «Je suis
devenue le vilain petit canard. J'ai été humiliée dans des réunions.» Quand
elle décide de couper le cordon, elle se retrouve seule, avec une belle
dépression nerveuse.
Véronique (1), autre enseignante
approchée, raconte sa mésaventure. «Une collègue m'a proposé d'aller dans un
groupe de parole, m'expliquant que ça me ferait du bien.» C'est le choc: «Il
y avait un petit autel avec de l'encens, des photos des ancêtres, un petit
gong. On a démarré par une prière. On m'a demandé de lire ce que j'avais sous
les yeux. C'était des sons répétitifs, qui produisent une sorte de
bourdonnement.»
Malgré son refus de renouveler
l'expérience, elle est relancée avec insistance. «Ma collègue me disait:
"Tu n'as pas envie de t'améliorer, de progresser?"» On lui
propose des week-ends à Nantes - le siège national du mouvement -, on l'appelle
au téléphone, on lui envoie des mails. Devant son silence obstiné, le mouvement
a fini par la laisser tranquille.
Tous les lycées touchés
«Il y a des foyers dans tous les
lycées», constate un proviseur. «Il
y a beaucoup d'enseignants, de tous niveaux, mais aussi des animateurs de clubs
sportifs», souligne un témoin. Le prosélytisme envahit parfois les salles
des profs. «Il y en a qui n'en peuvent plus, indique un chef
d'établissement. Dès qu'ils racontent un événement de leur vie privée, on
leur tombe dessus.» «Je m'inquiète, confie une observatrice, parce que
ça concerne des collègues qui sont en difficulté dans leur vie professionnelle
ou personnelle». «Ils essaient toujours de repérer le point faible et après,
ils ne lâchent plus, confirme Dominique Hubert, présidente de l'Adfi (2)
de Nantes.
Difficile de lutter contre le reiyukai.
L'adhésion à une secte n'est pas pénalement répréhensible. Un chef
d'établissement avoue son impuissance: «Qu'est-ce que vous voulez que je
fasse? Je n'ai pas constaté de prosélytisme vis-à-vis des enfants.» En tout
cas, pas au sein des classes. «On se contente d'y repérer les adolescents
fragiles, réceptifs», a constaté Catherine, encore choquée d'avoir croisé
un jeune de 17 ans dans une réunion.
«Et pour les enfants des adeptes, s'inquiète Dominique Hubert, quel effet ça peut
avoir sur eux d'entendre psalmodier des mantras tous les jours?» «L'outil se prête
bien à la manipulation mentale. On récite des formules magiques censées faire
réussir dans la vie, résume Didier Pachoud, président de l'association Gemppi (3). C'est un peu un distributeur
automatique de réussite.» Et quand ça ne marche pas, c'est de la faute de
l'adepte. Qui n'a pas assez recruté, pas assez prié. Il faut alors augmenter
les doses.
L'argent est souvent un enjeu dans les
mouvements sectaires. Dans le cas du reiyukai, Dominique Hubert s'interroge sur
l'origine des fonds qui ont permis d'acheter l'immeuble où se trouve le siège
du mouvement «dans le quartier le plus cher de Nantes». À raison de 5
euros de cotisation mensuelle, même si l'on encourage les adeptes à verser
aussi pour leurs proches, les recettes ne peuvent pas être mirobolantes. «Le
moteur, pour eux, c'est plutôt le pouvoir, estime Didier Pachoud. C'est
valorisant d'être gourou à peu de frais quand on est en quête de reconnaissance
et qu'il n'y a pas de concurrence.»
(1) Les prénoms ont été changés.
(2) Association de défense
des familles et des individus victimes des sectes.
(3) Groupe d'étude des
mouvements de pensée en vue de la prévention de l'individu.
Une façade respectable
Le reiyukai est une pratique dérivée du
bouddhisme. «Et le bouddhisme a plutôt la cote en France, note Didier
Pachoud, le président de l'association Gemppi de lutte contre les mouvements
sectaires. On pense à une religion tolérante, peu prosélyte.» Le reiyukai
est pourtant inscrit sur la liste des mouvements sectaires de 50 à 500 adeptes
dans un rapport parlementaire réalisé en 1995. Il fait partie d'une nébuleuse
de mouvements qui se disent «bouddhistes laïcs».
Au siège de Nantes, on ne s'offusque pas
d'être traité de secte. «Chacun a son avis. Qu'est-ce que ça veut dire
sectaire?» Venu du Japon, le reiyukai arrive en France à la fin des années
70. Il essaime petit à petit depuis Nantes où se trouve la tête du mouvement.
Celui d'Angoulême, qui compterait 120 «compagnons de pratique», a été
fondé par un enseignant venu de Nantes et installé en Charente. Il y aurait
actuellement deux branches, l'une dominée par les enseignants, l'autre pilotée
par un avocat. Le reiyukai fonctionne sans chefs officiels. «Pas de
hiérarchie, ni de culte», affirme-t-on au siège. Pourtant, les témoins
évoquent des couples de gourous: «L'homme est chargé de l'enseignement,
précise Didier Pachoud. La femme est plus spirite. Elle met en relation avec
les esprits.» Actuellement, le reiyukai compterait plus de 3 millions
d'adeptes dans le monde, dont 1 500 en France.
Il
n'existe aucune définition des notions de «secte» ou de «dérive sectaire».
Mais la commission d'enquête
parlementaire de 1995 a retenu une série de critères pour les caractériser: la
déstabilisation mentale; le caractère exorbitant des exigences financières; la
rupture avec l'environnement d'origine; l'existence d'atteintes à l'intégrité
physique; l'embrigadement des enfants, le discours antisocial, les troubles à
l'ordre public; l'importance des démêlés judiciaires; l'éventuel détournement
des circuits économiques traditionnels et les tentatives d'infiltration des
pouvoirs publics.
par
Source : La Charente Libre, 6 décembre 2010,
http://www.charentelibre.fr/2010/12/06/le-reiyukai-la-petite-secte-qui-monte-en-charente,1010139.php