dimanche 16 février 2014

À Ligardes dans le Gers : 23h51, l’exorcisme commence..."Sors de ce corps, Démon !"

Par SYLVIE LOTIRON – Photos MICHEL SLOMKA
Ce soir-là, la pleine lune brille depuis longtemps au-dessus de la ferme de Pierre Dulong, maire-guérisseur-exorciste à Ligardes, dans le Gers. Son dernier patient vient seulement de quitter son cabinet. Depuis le petit matin, des voitures arrivées de toute la France, et même de l'étranger, ont envahi son jardin. D'aucuns viennent pour soigner un zona, une hernie discale, leur prostate ou un eczéma récalcitrants à la médecine classique. D'autres, persuadés qu'on leur a jeté un sort, veulent être désenvoûtés. Les possédés, eux, sont accompagnés par leur famille, parfois contre leur gré.
La poignée de main de l'exorciste est musclée. Son sourire radieux Le fumet de la soupe de légumes de sa femme embaume la maison mais il prendra son dîner plus tard. Dans son cabinet rempli de bondieuseries, il enfile son aube, prépare ses livres de magie blanche et de désenvoûtement, son crucifix, l'eau bénite, fait brûler de l'encens. La Vierge Marie et une floppée de saints l'assistent. De fait, l'exorciste a rendez-vous avec le diable. Sous la forme, ce soir-là, d'un petit bout de femme avec des boucles blondes. Depuis plusieurs mois, Lucette* a perdu 12 kilos et le goût de vivre. Elle se sent comme rongée de l'intérieur. Le pendule de Pierre a détecté un envoûtement Le combat contre Satan promet d'être violent. Trois balèzes, des villageois faisant office d'assistants, ont été convoqués en plus du mari.
L'exorciste commence les prières. « Je ne veux pas être là », répète la jeune femme, dont la voix devient de plus en plus gutturale puis s'entrecoupe de grognements. La voilà maintenant qui hurle à faire trembler les murs de la vieille bâtisse. Seul le chien, habitué à ce genre d'épreuve, continue de dormir paisiblement dans la pièce attenante.
« Notre Père qui êtes aux cieux... protégez-nous du mal. Vade rétro, Satana ! », scande l'exorciste en pressant le crucifix sur le ventre, le front, le visage de la possédée. Hors d'elle, celle-ci lui crache au visage, essaie de mordre les mains qui la plaquent sur
le lit. Son corps raidi se soulève. Elle insulte l'exorciste dans un charabia où l'on reconnaît peut-être : « Satan ». Ou : « Je suis Satan ! » Puis, très distinctement : « Va te faire foutre ! » Les gars font la grimace, esquivent coups de pied et morsures. Pierre essuie un crachat sur son visage puis reprend, imperturbable : « Délivrez-nous du mal Seigneur ! » Après plus d'une heure, la tension retombe, enfin. Et, après un silence interminable, Lucette ouvre les yeux. Des mèches de cheveux collées sur le front, elle nous regarde à la dérobée, inquiète, un peu gênée. Elle est épuisée, voudrait, dit-elle avec une voix de petite fille,« rentrer à la maison ». Ce soir, Pierre l'avoue, il n'a pas beaucoup progressé contre le mai Il a prévenu qu'il lui faudrait peut-être deux ans ou davantage pour libérer la jeune femme. Le démon est tenace. Mais lui aussi « Je l'aurai, le fourbe ! Plus il monte, plus je monte moi aussi. Ça me prend là », dit-il en montrant ses tripes. Il en a libéré d'autres.
Parce qu'il est marié, il a choisi d'officier au sein de l'Église catholique gallicane, branche séditieuse de l'Église romaine qui autorise le mariage de ses ecclésiastiques. « Je chasse le mal et le démon par l'imposition des mains et l'invocation des saints. Je viens, en plus, de la médecine », dit l'homme qui promet jusqu'à « 99 % de réussite ». Un score qui l'étonne lui-même. « C'est extraordinaire ! », répète-t-il, toujours émerveillé par ce don de Dieu découvert par hasard, trente- cinq ans plus tôt. Pierre Dulong cultivait alors des melons. Jusqu'à ce qu'une sombre histoire de sachet de
haricots secs recouvert d'un crapaud séché, déposé dans un coin de son champ, lui vaille, assure son voisinage, la perte intégrale de sa
récolte, pourtant prometteuse. À l'époque, le cultivateur, qui n'a même jamais entendu parler de sort, se laisse convaincre de consulter un désenvoûteur. « Tu n'as aucun besoin de moi, tes dons dépassent les miens », lui assure le guérisseur. Incrédule, le producteur de melons teste à tout hasard ce pouvoir, tombé du ciel, sur son propre fils qu'il guérit d'une angine. Puis il poursuit l'expérience sur le mécanicien du coin cloué au lit par un mal de dos, jusqu'à son intervention. « Le bouche-à-oreille a fait le reste », dit Pierre avec un clin d'oeil.
Edith, qui est là pour témoigner, est « revenue de l'enfer, dit- elle. Le diable, je l'ai vu. Je sais comment il est. Au début, ça a commencé avec des cauchemars et le sentiment d'une présence à côté de moi. Et puis il ne m'a plus lâchée. J'avais des flashs qui me disaient : "Prends ce couteau !" Une force me poussait à le retourner contre moi ou contre d'autres », raconte-t-elle. Croyant souffrir de schizophrénie, Edith consulte un psychiatre, qui lui lâche : « C'est autre chose. » Après deux ans de séances deux fois par semaine, elle a craché des choses jaunes, répugnantes. Et puis ce fut terminé. Elle sent bien encore « comme une blessure intérieure » mais, assure-t-elle, sans Pierre elle serait morte. « Je ne suis qu'un intermédiaire », estime le « sauveur » en indiquant le ciel. Il s'inquiète de la recrudescence de cas de possession. Mais ne peut en accepter qu'un à la fois. « Trop dur ! Les exorcistes de l'Église catholique romaine sont peu nombreux et n'ont pas forcément le don. Et ils ont peur, ajoute-t-il. Le sujet est tabou.
Alors des possédés finissent leurs jours à l'hôpital psychiatrique. » À 3 heures du matin, l'exorciste va se coucher après un bol de soupe et un verre de rouge. À cette heure-là, ses premiers patients du lendemain se garent dans son jardin. « Chacun veut passer le premier, alors ils arrivent de plus en plus tôt, dorment dans leur voiture, même lorsqu'il gèle. Parfois ils se disputent pour savoir qui est le premier. Que voulez-vous que j'y fasse? se désole le conjurateur. Si ça fait trop de bruit, je sors et j'élève un peu la voix. » Le silence revient alors dans la jolie ferme gasconne de l'homme qui tient tête au démon. •
(*) Les prénoms ont été changés.
Source : VSD, 2 janvier 2014

Note du CIPPAD : à parcourir également : Pierre DULONG – GUERISSEUR Spirituel. 
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