Au fil des études
(sérieuses) et des découvertes en physiologie et en neurologie, le rire est
devenu un domaine de recherche en soi, pour les médecins, les psychologues et
les "coachs" comme Corinne Cosseron, fondatrice de la rigologie et de
l'école du rire. Mais il existe aussi un risque pour des personnes fragiles de
se faire entraîner dans un mouvement sectaire ou à tendance sectaire. Inspirée
du "yoga du rire", cette pratique non reconnue dévie parfois vers la
manipulation, en donnant à ses participants l'impression d'avoir accès à une
vérité absolue, et en s'affirmant comme la seule pratique qui permet d'y
accéder.
La thérapie par le rire ne serait pas dangereuse, selon le journaliste
du Figaro qui a participé à une des séances de rire collectif à l'école du
rire, Jean-Bernard Litzler. D'ailleurs, aucun gourou ne lui a demandé de
l'argent, ni de commettre un suicide collectif. Mais certaines personnes ne
sont pas d'accord avec ce jugement et en 2003, la Miviludes (Mission
interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives à caractère
sectaire) donne son avis : "Le rire est un mode de recrutement efficace
pour les animateurs [...] et les thérapeutes qui captent une clientèle et la
dirigent vers des méthodes moins avouables et plus rentables". Le
programme de "thérapie" ou de "formation" cache un autre
discours, beaucoup plus dangereux, sur "l’au-delà, les anges et les
entités cosmiques", que "l’on glisse au milieu d’un discours plus
consensuel sur la paix, l’amour et la sagesse". Derrière la convivialité
affichée, remarque une chargée d’étude de l’Unadfi - l'Union nationale des
associations de défense des familles et de l’individu - il y a ces rapports de
concurrence entre psychothérapeutes, médecins farfelus, animateurs de club. "Tous se côtoient, s’échangent leurs
méthodes, se recommandent les uns aux
autres".
Le neurologue Henri Rubinstein est lui aussi
préoccupé par ces dérives sectaires : auteur de l'ouvrage Psychosomatique
du rire en 1983, il est considéré comme la caution médicale du rire thérapeutique
: "Le rire ne guérit pas, contrairement à ce que certains veulent me faire
dire, et faire croire. Il est positif pour la santé, mais n’a rien de
médical", assure-t-il au magazine La vie. Qui sont ces groupes qui
adhèrent à la doctrine de la "Dr." Corinne Cosseron, fondatrice de
l'École du rire et de la "rigologie" ? Autre des figures du mouvement
du "rire qui soigne et transcende", on trouve Bernard Raquin.
Psychothérapeute, il a construit sa théorie du rire comme réponse à tous nos
maux dans les années 1980, elle lui est apparu comme une évidence. Mais, après
un bout de conversation, l’homme dérive vers d’autres cieux. Les animateurs de
club sont des "guides qui donnent sens à la vie", il pense que
"le rire rend l’individu plus réceptif aux idées d’au-delà et de vies
antérieures".
Une
aspiration au bien-être, largement partagée, ou endoctrinement pseudo médical ?
Dans l'article de La Vie, paru en 2004, on voit des participants entraînés
dans le désert tunisien pour participer à des rites occultes par l'animatrice
d'un club de rire et ses amis. Au menu, une "exploration de leurs vies
antérieures par le 'rêve éveillé'". Au contraire, l'article du Figaro ne
mentionne que des séances à l'ambiance bon enfant, où "chacun retrouve son
fou rire et redécouvre les vertus euphorisantes d'un bon éclat de rire".
Ce matin là, un groupe de participants se destine à animer un club de rire au
terme d'une formation de deux jours. Ils ont acquis les techniques élémentaires
qui leur donnent le droit de diffuser dans leur ville l'incroyable technique de
la rigologie. Ils viennent de participer à une journée de "formation"
à la mystérieuse discipline, et en ressortent la tête pleine d'exercices divers.
Visiblement, cela leur a fait de l'effet : "une vraie complicité semble
unir ce groupe qui ne se connaissait pas la veille et les visages encore fermés
ou méfiants se sont ouverts". Après la rigolade, place aux choses
sérieuses : chaque apprenti rigologue doit faire deux démonstrations de ses
nouveaux talents de rire en faisant appel aux techniques apprises. Au terme de
cette redoutable épreuve, les plus convaincants rejoignent la prestigieuse
confrérie des diplômés de l'école du rire. Et pourront à leur tour "former"
des professionnels de l'endoctrinement, pardon, de l'incitation à les suivre.
Le
juteux business du développement personnel et de la formation professionnelle
"Vous êtes tombés dans le meilleur des clubs", lance d’entrée
Françoise, 62 ans, l’animatrice rencontrée par le journaliste de La Vie.
"J’étais à la recherche de spiritualité, confie à La vie une participante.
Or, au-delà des séances de rire, les stages permettent à Françoise de nous
réconcilier avec l’univers, de nous guider vers des thérapies
alternatives". "Françoise nous a appris que nous avions tous un ange
gardien, raconte-t-elle. Pendant les stages, nous lui rendons hommage par des
rituels." Afin de "créer une nouvelle réalité", Françoise fait
répéter: "Je remercie la vie pour cette magnifique séance. Je rends grâce
à l’univers pour tous ses bienfaits et toute cette abondance." Avant de
mettre fin à la séance, elle annonce qu’elle organise des discussions, un
samedi sur deux, et des stages d’un jour. Pas de rire, mais du "développement
personnel". Tandis que Christine se répand en confidences stupéfiantes
("Aujourd’hui, je sais aussi que nous avons plusieurs vies avant de
rejoindre l’univers"), l’animatrice sermonne une autre "élève" :
"Un miroir dans une chambre, c’est mauvais pour l’âme. Tu dois absolument
l’enlever!". Interrogée par le journaliste, elle répond, embarrassée :
"Je les fais profiter de mon expérience (silence). Dans les clubs de rire,
nous avons un pouvoir sur les autres. D’ailleurs, si je voulais en user, je le
pourrais sans doute, mais... Enfin, n’écrivez pas cela...". Anges
gardiens, notions mêlant psychologie et ésotérisme...
Du yoga
du rire au développement personnel
Ces témoignages seraient presque de
nature à faire rire si derrière ne se cachait pas une activité de telle
nature : malgré l'aspect positif du rire, toute l'industrie du
développement personnel et de la formation professionnelle est touchée par ces
dérives. Pour ce qui est de l'école du rire, le concept de "thérapie du
rire" vient du principe du "rire sans raison" développé en Inde
sous l’impulsion du médecin Madan Kataria, et sur les effets
physiologiques qu'on lui attribue : sécrétion d’endorphines pour lutter contre
la douleur, évacuation de l’adrénaline responsable du stress, oxygénation du
corps... Mais le rire est également un puissant motivateur, et pourrait même
être considéré comme une drogue, au regard de ses effets sur le cerveau. On
recense aujourd’hui près de 1 300 clubs du rire, dont une soixantaine en
France, se revendiquant de cette pratique (cependant, on ne peut pas savoir
combien sont concernés par ces dérives sectaires). Si les exercices – inspirés
du yoga – ne sont pas condamnables, l’absence de charte et de déontologie et le
camouflage de ce mouvement sous l'appellation fourre-tout et peu règlementée
des "techniques de développement personnel" constituent un risque en
soi. Surtout, le rire est un bien précieux. Il ne constituerait pas un risque
si ce n'était pas une denrée aussi rare, et de l'aveux même de Françoise, animatrice
rencontrée par le journaliste de La Vie, "Le rire sert de prétexte pour
inculquer une philosophie de vie. C’est un mouvement irréversible, qui va
prendre de l’ampleur." À surveiller, donc.
PAR ROMAIN
GAILLARD
Source : Le blog Mediapart de
Romain Gaillard, 03 mai 2013,
http://blogs.mediapart.fr/blog/romain-gaillard/030513/du-rire-la-rigologie-le-remede-est-il-dans-lhumeur