Dimanche 14 décembre, la police turque a arrêté 27 personnes proches du
prédicateur Fethullah Gülen, grand opposant au président Recep Tayyip
Erdogan. Parmi elles figurait le rédacteur en chef de «
Zaman », l'un des principaux quotidiens du pays. Une opération coup de poing,
dernière d'une série lancée contre ce que le régime
appelle un « Etat parallèle », accusé de comploter dans l'ombre à sa
chute. Elle a suscité de nombreuses réactions d'indignation en Turquie et dans
le monde.
Mais qui
est Fethullah Gülen ? Cet intellectuel musulman turc de 73 ans, qui
vit depuis 1999
en Pennsylvanie, est le fondateur du mouvement Hizmet, « le service ».
D'abord proche de l'AKP, le parti islamo-conservateur au pouvoir, Gülen a pris
ses distances avec lui et choisi la voie de l'exil. Il a écrit des dizaines de
livres et des milliers d'écoles se revendiquant de lui se sont établies dans le
monde entier dont une en France, à Villeneuve-Saint-Georges, dans la banlieue
sud de Paris. Son influence (ses disciples seraient plusieurs millions) est
incontestable et les intellectuels qui s'intéressent à la Turquie ont souvent
affaire à ses réseaux. Le site d'information Slate a raconté
ce jour
d'avril 2007 où des universitaires français comme Jean-Pierre Azéma, Olivier
Wieviorka, Olivier Roy et des philosophes proches de la revue « Esprit
» se
sont retrouvés sur les rives du Bosphore pour discuter de « la
République et des diversités culturelles », invités par une asso- ciation
qu'ils découvriront financée par la « secte » Gülen.
Pourtant, une fois la réalité de la puissance de l'homme de foi établie,
les avis
divergent : il
est l'objet d'une violente polémique. Pour certains journaux
anglo-saxons, il
serait le
penseur le plus important du monde musulman, un croisement entre
Rousseau, Gandhi et un télévangéliste, prêchant le salut par l'éducation, la
non-violence et un islam mis au service de l'économie de mar- ché. D'autres
comparent la néoconfrérie de Gülen à la secte de l'Opus Dei ou de la Scientologie,
dénoncent les liens des «Fethullahci » avec la droite religieuse américaine et
avec la CIA, leur stratégie d'influence et leur entrisme dans les institutions
de l'Etat turc. Les détracteurs de Gülen l'accusent aussi d'avoir
perverti les instructions
judiciaires des
affaires Ergenekon et Balyoz, ces plans de déstabilisation du
gouvernement turc imputés à la haute hiérarchie militaire.
Récemment le Parlement turc a voté la fermeture des écoles Gülen
sur son territoire pour septembre 2015 : l'Etat turc a décidé d'en finir avec
ce que la sociologue Nilùfer Gôle, directrice de recherches à l'Ecole des
Hautes Etudes en Sciences sociales à Paris, décrit comme « le réseau
musulman le plus puissant du monde ». •
SARA DANIEL
Source :
L’OBS, 24 décembre 2014
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