vendredi 25 avril 2014

Méta-analyse sur l’intérêt de l’hypnose en chirurgie : à confirmer...

Le développement de nouveaux traitements ou de nouvelles approches médicales répond à des procédures souvent longues, complexes et onéreuses.

Pour ne parler que des médicaments, la procédure débute généralement par un travail expérimental en laboratoire. S’en suit alors une deuxième phase d’étude pour évaluer l’effet réel du candidat médicament sur quelques dizaines de malades atteints de la pathologie à traiter. Cette étape est importante, car au delà de l’effet recherché, le futur médicament sera comparé à un traitement de référence, voire même, lorsque cela est éthiquement possible, comparé aussi à un groupe de patients qui recevra un placebo. L’ensemble se fait en utilisant la technique dite du « double aveugle » : les lots de médicaments sont codés, et ni les patients ni les prescripteurs ne savent quel est le traitement proposé aux différents malades. A la fin de l’étude les résultats seront analysés, et les groupes de patients identifiés.

Cette procédure apporte un nombre de garanties certaines :
-  une réduction des biais expérimentaux
-  une évaluation de l’efficacité du nouveau produit  par rapport au traitement de référence

Si les résultats sont concluants le produit devient alors disponible pour un certain nombre d’hôpitaux référencés à travers le monde, afin de confirmer son effet à plus grande échelle, et rechercher des effets indésirables rares, parfois liés à une sensibilité ethnique ou familiale. Une fois l’ensemble validé le médicament devient accessible pour l'ensemble des malades.

Le développement de nouveaux soins, ou de nouvelles propositions médicales, est encore plus complexe à évaluer lorsque l’on touche aux altérations du comportement et à la santé mentale. Domaines, où l’on croise assez facilement une offre de soins provenant également des médecines dites douces.

Les « médecines » de la sphère corps-esprit se sont en effet beaucoup développées à partir des années soixante sous l’impulsion de praticiens liés au mouvement de l’Ecole de Palo Alto, en Californie. Construites sur la base d’empirismes, voire d’idées curieuses, il est parfois compliquer d’en séparer le bon grain et l’ivraie. La démarche initiale s’accompagne souvent de travaux qualitatifs appréciant le mieux-être ou le ressenti du malade, dont il est souvent difficile de retirer une information précise.

Il est alors nécessaire pour en évaluer leur efficacité réelle, ou supposée, de les éprouver dans des études solides pour valider ces approches.

L'hypnose est un état modifié de conscience, proche de la sensation perçue dans les instants qui précèdent l’endormissement. Popularisée au XIXème siècle par les travaux des Dr. Charcot et Bernheim, la pratique de l’hypnose médicale déclinera progressivement avec l’apparition de la psychanalyse, et  les progrès de la médecine basée sur les preuves.

Cette approche retrouvera un certain dynamisme sous l’impulsion du médecin américain Milton Erickson. Atteint de poliomyélite, il expérimentera sur lui-même des techniques de détournement d’attention et d’autosuggestion, afin de diminuer les douleurs dont il souffrait. L’hypnose eriksonnienne était née. Et à partir des années 70, en association avec les promoteurs de la Programmation neurolinguistique de l’Ecole de Palo Alto, l’hypnose ericksonienne, à vocation médicale, allait connaître une nouvelle embellie.

De nombreuses études qui tendent à montrer l’efficacité de l’hypnose en médecine furent alors réalisées. D’abord, comme c’est souvent le cas pour les approches corps-esprit, par les tenants de la technique, puis progressivement par des équipes médicales plus étayées.

Ainsi, dénombre-t-on actuellement dans la littérature de langue anglaise, vecteur des travaux médicaux, plus de treize milles études sur l’hypnose.

Cependant les résultats sont controversés, et il est, aujourd’hui encore, difficile de se faire une idée de l’effet réel ou supposé de l’hypnose en médecine.

Une récente méta-analyse de l’ensemble des données portant sur l’utilisation de la méthode en chirurgie été réalisée par l’équipe allemande du Pr. J. Rosendahl1, et publiée dans la très sérieuse revue  internationale Clinical Psychology Review. Le but de cette étude étant d’apprécier l’efficacité de l’hypnose en chirurgie chez des adultes (étude accessible en cliquant : ici).

L’objectif des méta-analyses, est donc de prendre en compte l’ensemble des travaux effectués dans un domaine en y appliquant des critères qui vont permettre d’objectiver les études réalisées, écartant ainsi celles contenant des biais méthodologiques, pour en extraire des données acceptées de tous. Données fiables qui seront reproductibles par tout praticien, afin que le patient en retire un bénéfice certain pour sa santé.

Pour cela l’équipe du Pr. Rosendahl s’est rapprochée de la démarche utilisée pour la validation des médicaments.

L’évaluation des travaux dans le domaine corps-esprit étant particulièrement sensible à certains d’aléas liés notamment aux personnes, soignants comme patients, l’équipe allemande a donc défini un certain nombre de critères préalables, pour s’intéresser aux études les plus complètes:

-  Pour cela ils n’ont considéré que les essais contrôlés randomisés, c’est à dire des essais où l’hypnose est comparée à un traitement conventionnel, et dans lequel les patients ne sont pas présélectionnés, mais inclus dans l’un ou l’autre des groupes de façon aléatoire. De sorte que les personnes peu sensibles à l’hypnose comme celles les plus réceptives, se trouvent distribuées de façon égale dans les différents groupes du protocole.

-  Si possible aussi des études contenant un groupe de patients bénéficiant, d’une technique se rapprochant de l’hypnose, sans en avoir les effets, appelé « contrôles d’attentions » (comme par exemple l’écoute de musique, une écoute empathique ou une écoute active du patient). Ceci permet d’apprécier un éventuel effet placebo qui s’exprime dès que l’on fait preuve d’une attention particulière envers un malade.

-  Les pathologies étudiées sont des interventions chirurgicales  électives pour une anesthésie générales ou locales, ainsi que des brûlures. L’hypnose doit avoir été mise oeuvre avant, pendant ou après l’intervention, par un hypno-thérapeute ou bien par la diffusion d’un  CD rom préenregistré.

-  Le protocole doit aussi clairement faire référence à « l’hypnose », à des « techniques hypno-thérapeutiques » ou à un « renforcement de l’ego hypno-thérapeutique » (des études utilisant l’« imagerie guidée », la « relaxation » ou le « training autogène » n’étant pas retenues).

-  Une étude médicale inclut un nombre de patients minimum pour permettre ensuite une analyse statistique objective des résultats. Aussi des analyses de cas individuels, ou des travaux comportant un nombre trop faible de malades est difficile à intégrer dans une méta-analyse. Cependant, les auteurs ont pu intégrer certaines d’entre elles sur la base de similitudes des protocoles avec des études plus importantes.

-  Une source potentielle de biais dans les d’études corps-esprit est le conflit d’intérêt, qui dans ce cas se traduit par le fait que les promoteurs de l’étude seraient eux-mêmes hypno-thérapeutes. Il est donc essentiel que l’intervenant en hypnose soit une personne extérieure à l’étude. De même les patients ne doivent pas avoir une pratique préalable de l’hypnose.

-  Un autre critère important est l’analyse des résultats. Les données provenant des différents groupes de patients seront nécessairement codées afin que l’appartenance au groupe expérimental, de référence ou placebo, ne puisse pas être connue, dans un premier temps, des chercheurs qui réaliseront ensuite l’analyse statistique  des résultats recueillis.

Une fois ces critères portant sur la qualité du protocole définis, l’équipe du Professeur Rosendahl s’est aussi attachée à identifier des critères d’efficacité du traitement hypnotique afin d’en quantifier l’effet : la détresse émotionnelle, la douleur, la consommation de médicaments, les paramètres physiologiques mesurables, le temps de récupération du patient, et la durée de l’intervention sous hypnose comparée à  une intervention  conventionnelle.

Ces éléments sont pertinents, car ils sont décisionnels dans le choix des protocoles de soins à appliquer aux patients.

L’ensemble de ces éléments étant préalablement définis, deux membres de l’équipe du Pr. Rosendahl les ont indépendamment appliqués à l’ensemble des travaux répertoriés concernant l’hypnose en chirurgie, et ont ainsi extrait 34 études de la littérature médicale répondant à ces critères, incluant 2597 patients. Les 34 études ont ensuite été analysées  à l’aide d’outils statistiques et informatisés pour en retirer des données fiables, et susceptibles d'être reproduites.

Il en ressort, malgré l’ensemble des précautions prises, une importante hétérogénéité statistique. Ceci étant le reflet de variations d’une étude à une autre principalement attribuable à la taille des cohortes de malades et à des adaptations des protocoles aux besoins des patients au cours des essais cliniques.

Les résultats de la méta-analyse montrent un petit effet  positif sur la détresse émotionnelle, la douleur, la consommation de médicament et la récupération.

Cependant les auteurs se sont heurtés à un certain nombre de difficultés, notamment dans l’évaluation d’éventuelles partialités des auteurs (intérêt personnel en faveur de l’hypnose)  et à un manque de précisions sur les données initiales des études.

Les auteurs concluent ainsi leurs travaux: « cette méta-analyse exhaustive démontre des avantages de l’hypnose dans différentes pratiques chirurgicales. Cependant la qualité des évidences soutenant les effets bénéfiques de l’hypnose doit être qualifiée de faible, ou peu claire, pour la majorité des essais analysés. L’intervalle de confiance des études retenues semble être limité, principalement du fait d’une incapacité à affecter de façon adéquate des séquences non-identifiables (notion de « double-aveugle ») et par un manque de  prise en compte de manière appropriée  du principe d’analyse en intention de traiter (modification du protocole initial, notamment par exclusion de certains patients en cours d’étude). Nous encourageons la multiplication d’études  utilisant des méthodologies de hautes qualités, avec des publications de haute qualité pour renforcer les évidences prometteuses  de l’efficacité de l’hypnose chez des patients adultes devant subir une intervention chirurgicale ou un traitement médical. »

En résumé, il semble qu’il y existe un faible effet de l’hypnose en chirurgie, mais que la disparité des approches, le non-respect de protocoles initiaux et la faible qualité  des publications réalisées ne permettent pas aux auteurs d’apporter un réponse définitive sur l’intérêt, ou non, à utiliser cette technique, aujourd’hui, en chirurgie. Un travail plus rigoureux et des publications de meilleure qualité sont donc nécessaires pour répondre de façon claire à la question.

1- Efficacy of hypnosis in adults undergoing surgery or medical procedures: a meta-analysis of randomized controlled trials. Tefikow S, Barth J, Maichrowitz S, Beelmann A, Strauss B, Rosendahl, Clin Psychol Rev. 2013 Jul;33(5):623-36.

Source : CIPPAD, 25 avril 2014
http://www.cippad.com/2014/04/meta-analyse-sur-linteret-de-lhypnose.html
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