samedi 26 octobre 2013

Un couple avait été séduit par son projet d'orphelinats au Cameroun

“L'évêque” jugé pour escroquerie
 
C'est à la suite d'échanges d'e-mails entre le Père Didier, au Cameroun, et un couple d'Ornais, fidèles du mouvement religieux développé par Philippe Miguet à Chandai, que cette affaire d'escroquerie est née. Elle a été jugée mardi 15 octobre par le tribunal correctionnel d'Alençon.
Le couple avait versé 3 135 €, en 2007, à une association caritative créée par Philippe Miguet pour récolter des fonds à destination de deux orphelinats du Cameroun. Or, dans un mail, le Père Didier dit avoir reçu 600 €. “On s'est fait arnaquer”, déclare le couple qui a, dans la foulée, “déposé plainte pour qu'il n'y ait pas d'autres victimes”.
“Homme intelligent, beau discours”
Ce couple, chrétien traditionaliste, s'était tourné vers le mouvement religieux de Philippe Miguet “parce que c'est un homme intelligent, il avait un beau discours. Il y avait une cohérence entre son discours et sa tenue, il jouait bien son rôle”. La femme dit avoir été “séduite par son projet d'orphelinat”.
Elle vendait des produits bio. Des ventes avaient été organisées au sein du monastère dont les bénéfices étaient intégralement reversés à l'association en faveur des orphelinats du Cameroun. “Ces ventes, après la messe, marchaient très bien”, a reconnu la femme qui a alors décidé de “reverser 5 % de son chiffre d'affaires à l'association”. Elle ajoute qu'il “a toujours été très clair, pour moi, que l'argent reversé était exclusivement destiné aux orphelinats du Cameroun”. Elle qualifie Philippe Miguet de “fin manipulateur” et se dit “abusée”.
Philippe Miguet n'est pas un évêque reconnu par le Saint-Siège. Placé à 17 ans au sein de l'abbaye Saint-Pierre-de-Champagne, en Ardèche, il a quitté cette communauté avant son ordination. Ordonné prêtre en 1981 à Toulouse par un évêque traditionaliste, l'Église catholique a refusé de valider cette ordination.
“Aucune existence officielle”
Prêtre dissident entre 1981 et 2012, il a évolué sous différents mouvements : l'église romaine puis l'église orthodoxe syriaque d'Antioche puis l'église orthodoxe syriaque antiochienne dont il se revendique aujourd'hui. Une église qui n'a “aucune existence officielle” selon un aumônier militaire, le Saint-Siège ayant reconnu qu'un seul représentant de l'église orthodoxe syriaque d'Antioche. Philippe Miguet joue sur la terminologie. Il différencie l'église orthodoxe syriaque d'Antioche de celle qu'il a fondée sous l'adjectif antiochienne. Elle est gérée par une association cultuelle et installée à Chandai après un passage à Verneuil-sur-Avre où Philippe Miguet a fondé la congrégation canoniale Notre-Dame-de-la-Miséricorde.
Dans une chapelle, il célébrait alors des messes, donnait des sacrements, pratiquait l'exorcisme. En septembre 1991, le conseil pastoral annonce que cette communauté n'est pas reconnue par l'église catholique ni par Jean-Paul II.
Elle quitte alors Verneuil pour Chandai dans une propriété “avec une vieille grange devenue une chapelle” et dont l'entretien est notamment réalisé avec les fonds des fidèles.
L'une d'entre eux a connu cette église “par des tracts distribués sur le marché”. “Quand j'ai rencontré Philippe Miguet, il s'est présenté comme évêque. Il fallait l'appeler monseigneur”. Elle a versé “entre 10 000 et 12 000 € en liquide” à l'occasion de “quêtes après les repas pour aider le monastère qui avait des problèmes de toit, de chauffage, etc.”
Un autre, qui a connu Philippe Miguet “en blanc en 2005 puis en soutane noire en 2006” avance avoir donné “15 000 € pour l'Afrique et des besoins pour le monastère”. Il a aussi payé des billets d'avion pour le Cameroun.
“Ni catholique, ni syriaque”
“Vous avez été abusé par des prêtres, là-bas, qui utilisaient vos fonds pour leur train de vie”, mentionne Claire-Marie Casanova, la présidente du tribunal, à l'endroit du prévenu. Il confirme. Tout comme il note qu'il a confié la gestion de ses comptes à un homme parce que, lui, “a horreur de la finance”.
La mère du prévenu a avoué que son fils n'était “ni catholique, ni syriaque mais on ne voulait pas se brouiller avec lui “. Il l'avait nommée présidente de l'association caritative, à sa création. “Je ne prenais pas de décision. Je prenais des fonds, je les mettais sur un compte. L'argent partait au Cameroun mais les enfants n'en profitaient pas”, a-t-elle rapporté. Depuis 2009, elle ne préside plus. “Philippe m'a mise à la porte”.
À la barre du tribunal, vêtu d'une soutane noire, la tête coiffée d'un bonnet, Philippe Miguet intervient : “Si je ne suis ni prêtre, ni évêque, il ne fallait pas me confier des intentions”. En réponse à une question de son avocat, il se dit “affecté” par cette affaire.
L'exploitation de ses comptes bancaires par les gendarmes, ne révèle pas “de blanchiment d'argent” et prouve “qu'il engage de ses deniers personnels pour une association dans l'Orne et au Cameroun”.
Son casier judiciaire fait état d'une condamnation en 2004 pour abus de confiance et escroquerie du fait de sa fausse qualité d'évêque catholique entre 1997 et 2001. Le tribunal correctionnel d'Alençon l'avait alors condamné à dix mois de prison avec sursis et 10 000 € d'amende.
“Pas un conflit entre deux églises”
Selon la procureure de la République, “la méthode employée pour l'escroquerie, comme le vol, est astucieuse : elle provoque la remise volontaire de fonds à l'aide de moyens frauduleux”. Elle rappelle que le prévenu n'a “aucune légitimité vis-à-vis d'une quelconque église syriaque orthodoxe de France” et affirme qu'il y a mensonge sur sa qualité d'évêque. Elle donne lecture des témoignages de fidèles et conclut que “cette fausse qualité d'évêque est déterminante dans l'acquisition de fonds. Tous ont été trompés sur la qualité du prévenu”. Quant aux sommes versées par le prévenu, “elles sont bien inférieures à celles versées par les fidèles”.
Et Carole Étienne de conclure : “Les faits sont graves par leur nature et le mode opératoire. Il ne s'agit pas d'un conflit entre deux églises, ni d'une histoire de concurrence illégale sur le marché de la charité chrétienne. Tous les plaignants qui sont allés voir l'Évêque de Sées ont été invités à écrire au procureur de la République. Pour le prévenu, ceci est un trouble à l'ordre public entre les croyants. Et bien non car si l'Évêque de Sées ne l'avait pas fait, on le lui aurait reproché !”
Elle requiert un an de prison ferme et 15 000 € d'amende.
“L'escroquerie du siècle !”
L'avocat de la défense pointe d'emblée “le caractère disproportionné des réquisitions” et avance aussitôt qu'il plaide la relaxe de son client car “il n'y a aucuns caractères constitutifs de l'infraction”.
Me Caballero, du barreau de Paris, insiste sur le fait que son client “ne se pose pas en faux prêtre : c'est un prêtre ! Il a été ordonné devant des témoins, est devenu prêtre dissident, a changé plusieurs fois d'église mais M. Miguet est un ecclésiastique et non un laïc. Dès lors, il n'appartient pas au tribunal d'un État laïc de déterminer si mon client est un évêque légitime, valide, invalide ou illégitime. La légitimité d'un évêque est une question purement religieuse qui échappe à la compétence du tribunal “.
Il poursuit sur les statuts de l'association caritative : “L'objet social n'est absolument pas limité aux seuls orphelinats du Cameroun. L'association reçoit des dons pour financer les opérations décidées par le bureau de l'association dont une partie est destinée aux enfants du Cameroun. Il n'y a donc pas eu volonté de tromper les donateurs”.
Il termine sa plaidoirie sur “l'absence de préjudice des époux dont la générosité n'est pas aussi désintéressée qu'elle en a l'air car les versements de 3 135 € correspondaient à un chiffre d'affaires de 62 700 € ! Comme dit le proverbe : charité bien ordonnée commence par soi-même. Et ces dons étaient déductibles des impôts : avec les reçus fiscaux de l'association, après leurs versements, ils ont bénéficié d'une déduction fiscale de 66 %. En clair, sur les dons versés à l'association, ils ont récupéré 2 069 €. Leur prétendu préjudice s'élève donc seulement à 1 035 €. Si on déduit les 600 € versés parvenus au Cameroun, il se réduit à 435 €. C'est l'escroquerie du siècle !”
Il oppose à ce préjudice, “l'absence de profit personnel de M. Miguet. Sa générosité à l'égard des petits-enfants du Cameroun est, en revanche, totalement désintéressée puisqu'il a vendu une part de ses biens pour financer les orphelinats de Yaoundé et de Douala. L'absence d'enrichissement personnel de mon client et le fait qu'il engage, au contraire, ses deniers personnels au Cameroun doivent conduire le tribunal à constater que le délit d'escroquerie n'est pas constitué.”
L'affaire a été mise en délibéré. Le jugement sera rendu lors de l'audience de jeudi 5 décembre à 14 h. 
Source : L’Orne Hebdo, 24 octobre 2010
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Un évêque pas très catholique

Chandai, village de l'Orne (540 habitants), abrite depuis 1992 le monastère Notre-Dame-de- la-Miséricorde et son père abbé, Philippe-Marie Miguet, 43 ans. Soucieux, dit-il, de placer sa communauté d'une centaine de catholiques traditionalistes sous une autorité ecclésiastique incontestable, Philippe-Marie Miguet prend langue avec la lointaine Eglise syriaque orthodoxe d'Antioche. Son représentant en France, Mgr Nicolas, lui impose les mains en février 2001. A sa soutane noire barrée d'une immense croix pectorale Philippe-Marie Miguet peut ajouter la calotte pourpre d'évêque. Mais, en septembre 2002, le patriar-che d'Antioche fait savoir que Mgr Nicolas n'a jamais été consacré. Philippe-Marie Miguet et « Mgr » Nicolas se mettent en quête d'une nouvelle autorité ecclésiale. Et, en novembre 2002, se rapprochent de l'Eglise orthodoxe ukrainienne autocéphale Sobornopravna.
A cette tourmente ecclésiale s'ajoutent des déboires plus temporels : fin 2002, Philippe-Marie Miguet a été mis en examen par un juge d'instruction d'Alençon pour abus de confiance (est-il évêque ?) et escroquerie. La justice s'interroge sur les 500 000 euros qui ont circulé sur son compte entre 1997 et 1999. « Il s'agit de fonds personnels ou familiaux », fait valoir Me Vincent Picard, avocat de Philippe-Marie Miguet. Une famille remuante. L'« évêque » de Chandai est en effet le frère de Nicolas Miguet, 42 ans, président du Rassemblement des contribuables français et ancien conseiller municipal de Verneuil-sur-Avre (Eure), proche du monastère.
LOUIS LAROQUE (À CAEN)

Source : Le Point, 14 février 2003, modifié le 19 janvier 2007,
http://www.lepoint.fr/actualites-societe/2007-01-19/un-eveque-pas-tres-catholique/920/0/52921
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