mercredi 7 janvier 2015

New Age - Michel Houellebecq : il y a 17 ans, la polémique du camping l'Espace du possible, à Meschers (17)

"Sud Ouest" ouvre ses archives - Durant l'été 1998, le camping alternatif de Meschers, le plus sulfureux et le plus secret de France, était placé sous le projecteur des "Particules élémentaires", le best-seller de Michel Houellebecq. Un an plus tard, "Sud Ouest dimanche" revenait à l'Espace du possible.

"Sous la caresse du temps ", article publié le 25 juillet 1999 dans "Sud Ouest dimanche".
Avec Michel Houellebecq, les choses sont claires. L'on adore ou l'on abhorre son roman « les Particules élémentaires », ce portrait outrancier de la société post-soixante- huitarde. Avec l'Espace du possible, élément de décor des « Particules élémentaires », tout se complique. Vingt-deux ans après sa création en 1977, ce camping alternatif situé au sud de Royan, à Meschers, demeure un gros point d'interrogation.
Sommes-nous dans ce « laboratoire de la société » qu'évoque Yves Donnars, son fondateur ? Ou dans ce « lieu privilégié de liberté sexuelle devenu, au fil des années, lieu de dépression et d'amertume », selon ce qu'en écrit Houellebecq à la page 134 de son roman ?

Houellebecq, les particules élémentaires, 1998 par U2-pankow

Une chose est certaine. Ici, sur ces 13 hectares d'un terrain accidenté et boisé, toute une génération s'est retrouvée à poil. Les premières années, ce fut au sens propre. « Nous étions jeunes. Nos sens prenaient davantage de place. On se roulait dans la boue ou dans l'huile, on débarquait comme des primates sur la Côte sauvage... Les gens de l'extérieur fantasmaient et projetaient beaucoup sur nous », se remémore Patrice, un pilier, qui anime cet été un atelier de « méthodes de créativité ».

Avec les années, les « Espaciens » se sont progressivement rhabillés. La nudité est désormais circonscrite à des lieux et à des activités précises. Lors des ateliers massages, fonds de commerce essentiel de l'Espace, les massés demeurent nus et sans gêne sans que personne crie au scandale. Mais les masseurs, qu'ils pratiquent le massage « chinois », « sensitif », « gestalt » ou « shiatsu », sont désormais priés d'enfiler un slip... Histoire d'empêcher les confusions. « L'Espace s'est normalisé, policé », admet non sans une pointe de regret Yannick, enseignante d'une quarantaine d'années.
« Pour vivre heureux vivons cachés »

Environ soixante pages des « Particules élémentaires » ont pour cadre l'Espace du possible. Quand le livre est sorti, à la fin du mois d'août dernier, ce fut un choc. D'autant que ce « faux frère » de Houellebecq venait juste de passer quinze jours de vacances, sous sa tente, à Meschers ! « En dix ans, il sera venu chez nous cinq étés, précise Yves Donnars. Il m'a même avoué avoir osé prendre la parole en public grâce à nos ateliers... »
Brusquement placés sous les feux des projecteurs du best-seller de l'année, les « Espaciens » faisaient l'expérience d'une mise à nu redoutable. Celle de leur mode de vie ou, plus exactement, de leur type de vacances.Beaucoup n'ont pas supporté l'image renvoyée par ce miroir déformant : « J'avais peur que mon mari ne tombe sur le livre. Je suis divorcée et je viens ici depuis trois ans avec ma fille de 18 ans. Nous y avons découvert tellement de choses... J'ai trouvé sa description odieuse », dit Marie-Ange.
D'autres ont souri : « En n'exposant que la dimension sexuelle de l'Espace, Houellebecq a craché dans la soupe. Ce type a certainement beaucoup de problèmes. Mais c'est un très bon écrivain. Tout n'est pas faux dans ce qu'il écrit. Il n'y a pas de fumée sans feu. On n'est pas des anges », tempère Yannick, qui séjourne ici chaque été depuis douze ans.
En justice

Après avoir attaqué en justice, Yves Donnars, 49 ans, obtenait que l'Espace ne soit plus désigné par son nom dans la réédition du livre. Une tempête médiatico-judiciaire à laquelle coïncidèrent l'été dernier des problèmes d'ordre administratif avec la mairie de Meschers, décidée à obtenir la mise aux normes de certaines installations du camping. Un an plus tard, alors que les remous réglementaires sont en voie d'apaisement, Yves Donnars reconnaît que « les Particules élémentaires » l'ont changé.
« Jusqu'à l'an dernier, je refusais de communiquer sur l'Espace, fidèle au vieux principe "pour vivre heureux, vivons cachés". L'épisode Houellebecq m'a contraint à une autre stratégie. Ce n'est pas si mal. Cela a permis de crever certains abcès. »
Les années folles
Si le fondateur de l'Espace n'a aucun mal à expliquer comment un reportage de Canal + consacré à une hutte de sudation a pu engendrer la confusion sectaire, c'est encore avec prudence qu'il évoque, par bribes, la dimension hédoniste du domaine, au coeur du roman de Houellebecq. Une réputation sulfureuse qui remonte, selon lui, aux premières saisons. Les années folles. « Exceptionnellement, il arrivait que des séances collectives se concluent par des rencontres, au hasard et au toucher, dans le noir », concède-t-il. Vingt ans après, au sommet de la « montagne ouest », l'Espace offre encore des scènes inimaginables dans un camping lambda. Yves Donnars le reconnaît : « Il est évident que l'Espace favorise la rencontre. Quand l'épidémie de sida a commencé, je me suis posé des questions. Fallait-il tout arrêter ? Heureusement, les adhérents prenaient sérieusement en compte la maladie. Cela m'a rassuré. »
En réalité, depuis l'origine, Yves Donnars a toujours dû veiller sérieusement au grain pour garantir la pérennité de son bébé. « Le précédent maire de Meschers était un ancien flic. Je n'avais pas le droit à l'erreur. Et les pièges ne manquaient pas : drogue, échangisme, pédophilie... » De là à réduire la philosophie de l'endroit (laboratoire des techniques de développement personnel de ces vingt dernières années) à sa seule composante hédoniste, voilà ce que n'a pas accepté Yves Donnars ! Du coup, il prépare un livre.
L'Espace de papa
L'Espace du possible a-t-il encore de l'avenir ? Ou n'est-il qu'une survivance d'un monde d'ores et déjà révolu ? Telle est la question indirectement soulevée par le roman de Houellebecq. Selon sa démonstration, passé le temps des « célébrations dionysiaques », le camping est devenu un centre new age parmi d'autres, avec une coloration hédoniste, libertaire et « années 70 » lui assurant « sa singularité sur le marché ». Un constat cruel, qui renvoie avant tout au vieillissement des fondateurs comme des premiers adhérents. A l'origine majoritairement enseignants ou « dans le social », pour la plupart en analyse, ces premiers fidèles ont eu du mal à se renouveler. Et ont peu à peu été rejoints par des consultants en entreprises, des directeurs de ressources humaines...

Yves Donnars concède avoir succombé, un temps, à la mode new age. « Désormais, je suis contre ce courant. Je me méfie de la pensée molle. Et je ne suis pas le seul. L'autre jour, un animateur d'atelier dérivait un peu trop sur les chakras. Les participants l'ont ramené sur terre. La force de l'Espace, c'est l'implication de ses membres. Ici, aucun "professionnel" ne vient dispenser sa science. Ce sont les adhérents eux-mêmes qui proposent des ateliers sur leur temps de vacances. Voilà l'originalité du concept. La responsabilisation. Une organisation entièrement pensée pour établir une communication intelligente entre les gens... »
Des adhérents qui, pour l'heure, ont tendance à prendre de l'âge. La tranche des 25-40 ans y est largement déficitaire. Les enfants et les adolescents, eux, sont de plus en plus nombreux. Seront-ils les prochains « Espaciens » ? Ou fuiront-ils à toutes jambes le centre de vacances de papa ?
Source : Sud Ouest, 6 janvier 2015,
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