samedi 17 mai 2014

Réseaux - Max, le maximonstre

Grand manitou des relations publiques et pourvoyeur de secrets pour les tabloïds britanniques, Max Clifford vient d'être condamné à huit ans de prison pour avoir violé des ados durant les années 70. Nouveau coup de semonce contre la «gutter press»
Ce matin d’avril devant l’entrée lugubre du tribunal de Southwark à Londres, le journaliste de SkyNews entame son compte rendu d'audience devant les caméras. Il raconte une nouvelle journée du procès de Max Clifford, grand manitou des relations publiques, manipulateur des médias britanniques depuis quarante ans pour le bénéfice de célébrités en tout genre. A 71 ans, il est jugé pour agressions sexuelles sur des ados de 12 à 19 ans, dans les années 70. Soudain, une silhouette aux cheveux blancs émerge du tribunal et se dirige droit vers le journaliste qui lui tourne le dos. Il se poste derrière lui et, pendant près d'une minute, alors que le reporter poursuit son commentaire sans rien remarquer, Max Clifford en personne imite ses gestes, hoche la tête en ricanant silencieusement. Comme si tout cela n'était qu'une gigantesque plaisanterie.
Un mois plus tard, le 2 mai, le même Max Clifford arrive devant le tribunal, l'air toujours aussi décontracté. Il pose devant les caméras, glisse un bon mot avant de disparaître dans le bâtiment. Quelques heures plus tard, il en ressort menotte dans un fourgon, direction la prison de Wandsworth, dans la banlieue sud de Londres. Condamné à huit ans de prison ferme pour huit agressions sexuelles sur des jeunes filles mineures.
Celui qu'on a baptisé le «King of Spin», le roi de la magouille tabloïde, tombe brutalement de son piédestal. Soudain, les centaines de célébrités qu'il représente depuis plus des décennies s'évaporent dans un silence assourdissant. Il est seul.
La bonne histoire
à vendre cher
Ces vedettes sont peut-être horrifiées par les révélations du procès, mais sont aussi, plus probablement, pétrifiées d'angoisse. La police aurait saisi au domicile de Max Clifford des documents compromettants, dont une cassette vidéo plaçant un présentateur de télévision célèbre en position délicate. «Max» savait tout des petites manies et gros vices, des secrets honteux ou douloureux, des mensonges éhontés et des turpitudes salées. Il savait tout et utilisait ce savoir à merveille, exerçant un savant mélange de charme, de menaces et de chantage. Pour le bénéfice de ses clients, et pour son enrichissement personnel.
Tout ce qui s'est approché de près ou de loin d'une vague célébrité depuis les années 70 a fréquenté ses bureaux. Du joueur de foot angoissé à l'idée que sa liaison extraconjugale soit dévoilée dans les journaux à la starlette en quête désespérée de célébrité, prête à poser nue dans le Sun pour grappiller une paillette de gloire. Du chanteur vedette accro à la cocaïne à la prostituée alléchée par le pactole qui tombera si elle dévoile le nom de ses clients célèbres. Qu'ils soient fictifs ou pas d'ailleurs, puisque Max Clifford est passé maître dans l'art d'accommoder ce genre de détails. Né au milieu de la Seconde Guerre dans une famille très modeste, au sud de Londres, il a quitté l'école à 15 ans et multiplié les petits boulots avant d'entrer, un peu par hasard, dans une société de relations publiques. Il y trouve sa voie et, lorsqu'il fonde en 1970 sa propre société Max Clifford Associates, il n'a que 27 ans mais compte déjà comme clients Frank Sinatra, Joe Cocker ou Marvin Gaye. Très vite, Mohamed Ali et Marlon Brando rejoindront son écurie. Le choix de ses clients est éclectique. Il ne regarde que la «bonne histoire», celle qu'il pourra vendre cher, celle dont la révélation lui rapportera une notoriété incroyable et des revenus conséquents.
En 1992, il provoque la démission de David Mellor, un ministre de John Major, en révélant sa liaison avec une actrice de série B. En 1996, il représente Mandy Allwood, une jeune femme qui, après un traitement anti-stérilité, est enceinte d'octuplés. Il négocie avec le tabloïd News of the World qui chroniquera la grossesse. Mandy et Max recevront une somme calculée au prorata du nombre d'enfants qui survivent. En septembre 1996, la femme accouche prématurément, pendant trois jours, des bébés qui meurent tous à la naissance. Lors des obsèques, Mandy Allwood et son partenaire suivent les huit minuscules cercueils, mitraillés par des dizaines de photographes. Juste à côté d'eux se tient, la mine grave, Max Clifford. Lors d'une interview en 2009, ce manipulateur médiatique se dit «heureux» de faire de l'argent sur le dos de Jade Goody, devenue célèbre après avoir participé à l'une des premières éditions de l'émission Big Brother. Atteinte d'un cancer en phase terminale à 28 ans, elle a demandé à Clifford de l'aider à «capitaliser» sur sa mort prochaine afin d'assurer des fonds pour l'avenir de ses deux jeunes enfants. Ce dernier l'a fait «avec joie», explique-t-il, et en se payant largement au passage.
Pendant des années, alors que ses clients se débattent dans des histoires sordides, Clifford s'affiche dans le rôle du parrain, paternaliste, propre sur lui. Toujours en costume, avec chemise blanche au col ouvert, il pose devant la piscine de sa villa luxueuse de Marbella ou dans le parc de sa propriété dans le sud-ouest de Londres. Il avoue un luxe : sa Rolls-Royce Silver Ghost, immatriculée «MAX100», en toute simplicité. Professe son amour infini pour sa femme Elizabeth et cultive son image de pater familias, soucieux de la santé de sa fille, Louise, atteinte d'arthrite rhumatoïde. C'est la seule qui l'accompagnera chaque jour de son procès.
Après la mort de sa femme, en 2003, d'un cancer, il s'engage dans des actions caritatives. Puis, en 2010, il épouse Jo, qui travaille pour sa société. Cette dernière vient d'annoncer qu'elle demandait le divorce. En 2005, il a publié une autobiographie, Read all about it, catalogue hallucinant des centaines de scandales qu'il a créés, entretenus, suscités. Mais il révèle peu de lui, si ce n'est, en passant, une participation « plus passive qu’active » à des orgies sexuelles dans les années 70 et quelques aventures extraconjugales.
Scandales en cascade
Riche et célèbre, il navigue avec aisance
dans les eaux troubles des tabloïds britanniques. Jusqu'en 2011. Le scandale
des écoutes éclate. The Guardian révèle que le portable de Milly Dowler, une
adolescente de 13 ans enlevée et assassinée, a été écouté par des journalistes de
News of the World. Le scandale est un cataclysme. Chaque jour qui passe apporte
son lot de révélations sur les pratiques
illégales des journaux populaires. Au
point que News of the World, fleuron du groupe Murdoch, est contraint à la fermeture après 168 ans d'existence. Au point qu'Andy Coulson, ancien rédacteur en chef du tabloïd, doit démissionner de son poste de chef de la communication du Premier ministre, David Cameron. Ironiquement, pendant que Max Clifford était jugé, Andy Coulson et Rebekah Brooks, elle aussi ancienne directrice de News of the World, comparaissaient de l'autre côté de la Tamise pour avoir ordonné ces écoutes illégales. Leur procès est aujourd'hui sur le point de s'achever.
Juste après le scandale des écoutes éclate celui de Jirnmy Savile, en 2012. Mort un an plus tôt, cet animateur vedette de la BBC dans les années 70 et 80 se révèle avoir été un prédateur sexuel, pédophile en série pendant des dizaines années, se servant de sa notoriété. Des centaines de femmes se tournent vers la police pour raconter les abus qu'elles ont subi de la part de Jimmy Savile, mais aussi d'autres vedettes de l'époque. En octobre 2012, la police lance une vaste enquête, Operation Yewtree, qui conduit à l'arrestation de dix-sept personnes.
Dans la table de nuit
Max Clifford est l'une d'elles et le premier à être condamné. Dès son arrestation, il nie farouchement tout abus, évoque dans les années 70 et 80 une atmosphère parfois «hédoniste», qui aurait pu être mal interprétée. Sauf que le détail des abus dont il a été reconnu coupable, énumérés dans les attendus implacables du juge, n'a pas grand- chose à voir avec l'hédonisme tel que le définit le dictionnaire : la recherche du plaisir et revirement de la souffrance. Parce que la souffrance est là, brûlante, dans les témoignages de ces femmes, aujourd'hui âgées d'une cinquantaine d'années, qui évoquent des vies brisées par la honte, la peur, le traumatisme. A la barre, elles se souviennent de ces gamines de 12 à 19 ans qu'elles ont été, éblouies par la prestance de Max Clifford, sa proximité avec les sunlights. Elles racontent comment il a gagné la confiance de leurs parents, a promis qu'elles seraient les nouvelles Jodie Foster et leur a demandé de se déshabiller, de le masturber, de lui faire une fellation. Elles se rappellent avoir été terrorisées quand il leur a dit qu'elles avaient été photographiées alors qu'elles étaient penchées sur son sexe, qu'il ne leur servirait à rien de raconter quoique ce soit, parce que «de toute façon, personne ne te croira».
Bien entendu, Max Clifford a hoché la tête, qualifié ses accusatrices, qui ne se connaissaient pas avant le procès, d'affabulatrices. Pourtant, curieusement, il a gardé dans le tiroir de sa table de chevet la lettre d’une de ses victimes qui, trente ans plus tard, lui a écrit pour lui raconter sa vie abimée à cause de lui. La police a trouvé la lettre en fouillant sa maison. Pendant le procès, il a continué le rôle du parrain, comme s’il était convaincu que rien ne pouvait l'atteindre, comme s'il croyait que les secrets qu'il détenait, peut-être sur le juge, sur un membre du jury ou le procureur - tout est possible - le mettaient à l'abri de tout.
Au milieu du sordide, les débats ont pris parfois des allures ridicules, notamment lors d'une bataille d'experts sur la taille présumée de son pénis. Certains témoignages le qualifiaient d' «énorme», d'autres de «minuscule». Après vérification d'un docteur, la vérité a éclaté : la taille de son pénis est «absolument dans la moyenne». En entendant le médecin, Max Clifford a souri. Comme s'il oubliait qu'il ne lisait plus les ragots d'un tabloïd colportés par lui-même, mais qu'il avait rejoint, enfin, la vraie vie.
Par SONIA DELESALLE-STOLPER, correspondante à Londres
Source : Libération, 17 mai 2014
Note du CIPPAD : Ce procès s’inscrit plus largement dans “l’Operation Yewtree, lancée par les autorités britanniques en 2012, qui concerne également des pratiques et rites sataniques associés aux abus d’enfants. Sur la même affaire: VU DE LONDRES - Abus sexuels : les noirs desseins de Rolf Harris et Londres - Max Clifford, publiciste britannique, nie être un pervers sexuel.