mardi 29 juillet 2014

Pas-de-Calais: ceux qui ont «vraiment» le don réagissent après les abus d’un guérisseur

Cela s’est passé mardi à Marles-les-Mines. La police a interpelé un individu qui se présente comme un guérisseur après qu’une de ses « patientes » s’est plainte d’agressions sexuelles. L’homme, qui n’a pas pignon sur rue, utilisait apparemment des pratiques très déplacées. Jusqu’à une relation sexuelle « pour éviter le recours à la sorcellerie ». Ce cas particulier jette l’opprobre sur ceux qui pratiquent des médecines non conventionnelles et ils sont nombreux dans le Bruaysis. Parmi eux se glissent des charlatans, mais aussi des gens bien dans leur « don», même si ça peut laisser perplexe. Rencontre avec Brigitte L.*, magnétiseuse : « C’est un don précieux, il ne faut pas faire n’importe quoi avec » La nouvelle s’est répandue comme une traînée de poudre. L’histoire du « guérisseur » de Marles-les-Mines a secoué le petit monde discret des adeptes de la médecine non conventionnelle. Fait hérissé le poil de ceux qui la pratiquent avec tout le sérieux qu’on peut leur accorder. Comme Brigitte L.
Elle n’est pas guérisseur, mais magnétiseuse. Et a ouvert son cabinet à Ruitz au mois de juin. « Beaucoup de gens prétendent faire du magnétisme, alors qu’ils n’ont jamais pratiqué », regrette-t-elle. Va-t-elle pour autant pâtir de ce sordide fait-divers ? « Non, je ne m'inquiète pas. » Car elle compte sur sa réputation.
Dans son bureau, des cadres sont accrochés sur les murs simples. Des diplômes. Attestations de ses pairs pour son activité de maître Reiki, une autre discipline parallèle. « Je vais également passer un diplôme en magnétisme. On ne l’a pas comme ça ! Il faut faire une lettre de motivation, on passe ensuite à un cas pratique devant des magnétiseurs de haut niveau... » Pour elle, ces diplômes, c’est un gage de sérieux. Brigitte L. va même plus loin dans les garanties : « Je me suis déclarée, j’ai un numéro de SIRET, je paye des charges ! » Ce qui la protège de « l’exercice illégal de la médecine » d’ailleurs, accusation qui plane au-dessus des guérisseurs de tous poils non déclarés.
Aussi étrange que cela puisse paraître, Brigitte L. explique avoir mis un nom sur son « don » à 45 ans. « J’ai toujours su que j’étais différente », explique-t-elle simplement. C’est en faisant une rencontre avec une thérapeute « que j’ai compris que je pouvais soulager les douleurs. C’est un don puissant, il ne faut pas faire n’importe quoi avec. »
Une charte
La magnétiseuse, qui dit soigner en posant ses mains sur le patient, s’applique une certaine déontologie. « Par exemple, je ne de mande jamais aux gens de se déshabiller ! » Ne suggère jamais à ses patients d’arrêter tout traitement médical, renvoie vers un médecin traditionnel si nécessaire... Des codes de bonne conduite condensés dans la charte du GNOMA, Groupement national pour l’organisation des médecines alternatives, qui lutte pour la reconnaissance de ces pratiques (via un syndicat notamment). « C’est important d’y être affilié », dit celle qui fera bientôt la démarche.
Pour l’instant, aucun guérisseur ou magnétiseur du Bruaysis n’est recommandé par le GNOMA. De nombreuses personnes continuent donc de « soigner », profitant d’un bouche-à-oreille si important pour eux, et qui peut faire ou défaire une réputation.
Marles-les-Mines : quand la religion entre dans la danse
Malgré son regard franc et sa mine bonhomme, on lui répond que c’est difficile à croire. Albert comprend notre scepticisme. Alors, il étale soigneusement sur la table les lettres de remerciement adressées par ses « patients ». Comme des gages de sa bonne foi. « J’ai reçu le don de mon frère, avant son décès. Ça se transmet. Moi-même je n’y croyais pas avant », affirme celui qui peut aisément passer pour un doux illuminé. Et depuis, il y croit. D’athée, il est même devenu croyant. « Mais je ne crois qu’en Dieu et Jésus. »
Des prières
Dans sa main, il serre un petit crucifix argenté. « Quand je soigne sur photo, je fais des prières. Tous les jours, je prie pour mes patients. » Ce mélange des genres déconcerte. Il préoccupe également la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (MIVILUDES) qui voit dans les dérives des médecines non conventionnelles une porte d’entrée vers les sectes. Avec Albert D. , on n’est pas dans ces proportions-là. Bien que son attachement viscéral à son crucifix sidère, libre à lui de croire en ce qu’il veut tant qu’il n’endoctrine pas les autres (c’est à partir de ce moment-là que la dérive thérapeutique devient sectaire).
En colère
Le guérisseur est en colère. « Lui, c’est un charlatan, il a fait n’importe quoi ! » L’homme fait référence au fait-divers de cette semaine (lire le rappel) : « Faut être sérieux et sincère. Moi je fais ça pour rendre service aux gens. Je ne demande rien en échange. Si je demandais de l’argent, je serais riche ! » Il trouve plutôt sa satisfaction « dans le bien que je fais ». Madame son épouse acquiesce. Puis raconte : « Quand j’étais plus jeune, moi j’allais voir Marie M. à Bruay-La Buissière. C’est une guérisseuse, elle était connue. J’y ai emmené tous mes enfants. » Les guérisseurs, c’est une tradition moyenâgeuse bien répandue dans les milieux ruraux. Un héritage complexe et controversé. Comme le « don » d’Albert D.
Ce que dit la loi...
Selon certaines études, 4 Français sur 10 ont recours aux médecines non conventionnelles, dont 60 % de malades du cancer. Rentrent dans cette catégorie des disciplines aussi diverses et variées que l’ostéopathie, l’homéopathie, la naturopathie, toutes les pratiques énergétiques (magnétisme, Reiki...), la phytothérapie, la médecine chinoise... Au final, tout ce qui ne rentre pas dans la case « médecine conventionnelle » qui, elle, est enseignée dans des facultés, dont l’efficacité a été prouvée par des expériences scientifiques, dont les conditions d’utilisation des pratiques sont détaillées et l’activité, encadrée.
L’État français observe néanmoins une certaine tolérance vis-à-vis des pratiques non conventionnelles (reste à prouver leur innocuité), notamment depuis 1994 et l’abrogation d’une loi qui sanctionnait jusqu’alors les métiers de pronostication. Depuis 1990, le Conseil de l’Europe incite le pays à s’ouvrir sur le sujet. L’Organisation mondiale de la santé a quant à elle plaidé l’intégration de ces pratiques depuis longtemps.
Ce que dit l’ordre des médecins...
« Non conventionnel », cela signifie « non encadré » pour René-Claude Dacquigny, médecin à Saint-Omer, président du conseil de l’ordre du Pas-de-Calais. « L’ordre a toujours eu une position assez ferme parce que c’est, dans certains cas, un exercice illégal de la médecine », même si les autorités ont une certaine tolérance. Certaines pratiques sont bien connues, mais pas encore reconnues, « comme l’osthéopathie, sur laquelle notre position a évolué ». Mais pour les guérisseurs, magnétiseurs, maîtres Reiki, etc., c’est toujours non : « L’ordre ne reconnaît pas du tout ce genre de médecine. On comprend que les gens aient besoin de croire à une guérison un peu miraculeuse. C’est humain. Mais il ne faut surtout pas que ces pratiques amènent les patients à ne plus suivre leur traitement. En complément d’un traitement classique ? Pourquoi pas, c’est vrai qu’il y a aussi un effet placebo. » Mais le médecin reste dubitatif. « C’est un monde marginal ». Avec des dérives, parfois. « Il arrive que l’ordre se porte partie civile », lorsqu’une affaire est portée devant la justice.
SARAH BINET
Note du CIPPAD : * seule l’initiale des patronymes a été conservée.
Source : La Voix du Nord, 27 juillet 2014,

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